Je m’appelle Morgane, illustratrice jeunesse et créatrice de Mokala Créations. Dans une autre vie, c’était jean, baskets et sac à dos. J’étais prête à arpenter les rues, à écouter, à accompagner. Travailleuse sociale la journée, une vie sociale bien remplie à côté, des projets, des rêves ou juste parfois des courses à faire. Puis, la douche froide. Un handicap, un corps qui lâche, une page à devoir réécrire. Parce que soyons honnêtes, le métier de travailleuse sociale, quand il faut en plus porter son propre poids moral et physique, ça devient vite intenable.
J’ai donc pris mes crayons et me suis réinventée. Et me voilà, désormais, je crée des illustrations sensibles, aquarelle et numérique, tout en jonglant avec mes valeurs comme l’inclusion, la diversité et le respect dans chacun de mes projets.
Un choix de carrière inspirant, me direz-vous ! Eh bien oui, mais… ce que personne ne m’avait dit, c’est que le milieu créatif, pourtant réputé ouvert et bienveillant, pouvait être rigide comme un panneau en béton armé.
Je m’étais fait tout un dessin animé de cette vie d’artiste : un travail adapté à moi et mes besoins. Du dessin, des créations, un peu de communication, pouvoir présenter mon métier et mes illustrations en boutique ou en marchés et pourquoi pas, proposer des ateliers ? Le tout à mon rythme. Mais, dans la vraie vie, c’est plutôt un coussin orthopédique en guise de trône, un planning qui ressemble à un brouillon raturé à cause des rendez-vous que je ne peux pas honorer, et une course contre mon propre corps avant qu’il ne passe en mode « off ». Ça fait rêver, non ?
Ajoutez à cela un matériel pas vraiment adapté : une tablette graphique qui n’allège pas les douleurs articulaires, une chaise ergonomique qui semble tout sauf ergonomique après des heures de travail, et des solutions bricolées pour compenser, sans jamais vraiment y parvenir.
Et puis, il y a les regards. L’impatience, parfois l’intolérance, souvent issue de l’incompréhension. Parce que si on ne voit pas mon handicap, il n’existe pas, n’est-ce pas ? Quand il faut expliquer pour la énième fois pourquoi je dois annuler une réunion à la dernière minute, je vois bien cette lueur dans les yeux de mes interlocuteurs : « Encore une excuse… ».
Quant à parler du handicap avec des collègues, des éditeurs ou de potentiels clients, c’est un véritable exercice d’équilibriste. Comment expliquer sans tomber dans le pathos, sans susciter pitié ou doutes sur ma fiabilité ? Chaque conversation devient une épreuve, un mélange de pédagogie, d’honnêteté, et d’un brin de diplomatie pour espérer être comprise, sans être mise de côté pour autant. Parce que, dans ce milieu comme ailleurs, un handicap, c’est souvent perçu comme une faiblesse, un risque, un facteur d’imprévisibilité
Les grandes joies du handicap fluctuants
Commençons par un peu de pédagogie : le handicap fluctuant, c’est comme avoir un colocataire capricieux. Un jour, il est discret, dort dans sa chambre. Le lendemain, il débarque sans prévenir, prend toute la place, et refuse de quitter les lieux. Résultat : impossible de savoir à l’avance si je pourrai honorer un rendez-vous, terminer une commande urgente ou même juste me lever pour commencer la journée.
Et comme si ce n’était pas suffisant, il faut ajouter à cela une dose quotidienne de douleurs et d’accidents. Me faire mal est quasiment devenu une routine : une mauvaise position, un geste anodin, ou même juste rester debout un peu trop longtemps peut déclencher une vraie tempête dans mon corps. Un jour, je suis en béquille, l’autre en fauteuil, et parfois… dans mon lit, parce que rien d’autre n’est possible. Ce « yoyo physique » ajoute une couche supplémentaire d’incertitude : comment planifier quoi que ce soit quand son propre corps décide constamment de changer les règles du jeu ?
Les annulations de dernière minute ? Mon quotidien. Pourtant, dans le monde professionnel, c’est un véritable crime. Imaginez le regard d’un client ou d’un collaborateur quand il apprend que je dois annuler une réunion prévue depuis des semaines. J’ai beau m’excuser, expliquer, être transparente, cela ne change rien à la réalité : je suis l’absente, et dans ce monde, « les absents ont toujours tort ». Cette phrase, gravée dans les mentalités, est un véritable mur face auquel les opportunités me glissent entre les doigts.
Et ce n’est pas tout. Le handicap fluctuant est difficile à expliquer. C’est un concept qui échappe à ceux qui ne le vivent pas. Ils veulent des certitudes, des garanties : « Tu es malade ou tu ne l’es pas ? », « Tu vas mieux demain, non ? ». Sauf que non, ce n’est pas si simple. Ces attentes, même involontaires, créent une pression énorme, et me poussent parfois à dépasser mes limites, à essayer coûte que coûte… pour finir encore plus fatiguée, voire complètement hors service.
Alors, oui, c’est compliqué. Certains jours, je me demande comment continuer. Mais heureusement, il y a des voix qui éclairent ces zones d’ombre. Si vous voulez en savoir plus et mieux comprendre ce que cela signifie, je vous invite à découvrir le travail de Chloé Romengas, une véritable mine d’or sur le sujet. Elle parle de ces réalités complexes avec une clarté et une profondeur qui, je l’espère, ouvriront les yeux de bien des gens.
Le grand défi physique
Travailler en tant qu’illustratrice ne signifie pas simplement créer. Non, non. Il faut aussi assurer des permanences dans des boutiques, participer à des marchés, rencontrer son public. Sauf que moi, ces efforts-là, mon corps n’en veut pas.
Une journée de marché ? Ce n’est pas juste se lever tôt, installer un stand et sourire aux visiteurs. Pour moi, c’est un véritable marathon. Je dois y aller accompagnée, parce qu’il y a toujours des choses que je ne peux pas faire seule : porter le matériel, déballer les créations, ou même simplement m’assurer que je ne m’effondre pas en plein milieu de la journée. Chaque minute debout est un combat, chaque geste demande une énergie que je n’ai pas toujours.
Et une fois la journée terminée ? Je disparais pendant trois ou quatre jours, parfois plus. Complètement vidée. Mon corps réclame son dû : douleurs amplifiées, fatigue écrasante, et cette impression d’avoir couru un ultramarathon sans préparation. Ces moments d’arrêt forcé ne sont pas juste désagréables, ils sont aussi frustrants : pendant que je récupère, je ne crée pas, je ne travaille pas, je n’avance pas.
Les permanences en boutique ? J’aimerais tellement être là, rencontrer les gens, échanger sur mon travail. Mais la réalité est plus brutale : tenir debout pendant plusieurs heures, gérer les allées et venues, et faire bonne figure, c’est tout simplement hors de portée. Du coup, je préfère ne pas postuler dans des boutiques pour des permanences si je ne suis pas sûre de pouvoir tenir ma part. Parce que je ne veux pas pénaliser d’autres créateurs qui seraient peut-être à ma place et qui, eux, peuvent être présents et actifs.
Alors je reste chez moi. Invisible. Et devinez quoi ? Être invisible, ce n’est pas ce qu’il y a de plus vendeur.
Quand on ne peut pas se rendre visible, quand on ne peut pas être physiquement là pour représenter son travail, le fossé avec le public se creuse. Les gens veulent voir l’artiste derrière les créations, entendre ses histoires, sentir son enthousiasme. Mais quand votre corps vous empêche de faire ces efforts physiques, vous devez trouver d’autres moyens de tisser ces liens.
Pourtant, être absente ou invisible ne veut pas dire ne pas exister. Ça signifie simplement que je dois me battre deux fois plus pour être remarquée, pour montrer que mes créations méritent leur place, même si je ne suis pas là physiquement pour les défendre.
Travailler plus pour gagner moins
Dans un monde où l’artiste est déjà malmené par des algorithmes, des droits d’auteur au rabais et une concurrence féroce, être moins productive (par la force des choses) est un aller simple vers le grand oubli. Moins de créations signifie moins de ventes, et moins de ventes signifie… une reconnaissance proche du néant. Et là, j’entends la fameuse phrase : « Tu devrais te diversifier, faire des ateliers ! » Haha. Spoiler alert : un atelier, c’est debout, actif, dynamique. Tout ce que je ne peux pas être sur commande.
Mais au-delà de la frustration et de la culpabilité que je ressens souvent face à cette situation, il y a aussi les jugements extérieurs. Ceux qui pensent que si je ne suis pas présente à 100% partout, à chaque événement, c’est parce que je ne le veux pas, ou pire, que je suis simplement feignante. Parce qu'on ne comprend pas que ce n'est pas une question d'humeur ou de bon vouloir. Non, ce n'est pas que je choisis de ne pas être là ; c’est que mon corps, un jour, me permet de travailler, et le lendemain, il me dit stop, sans crier gare.
Et c’est là que ça devient vraiment difficile : être mise dans une case, réduite à cette « personne qui ne se bouge pas assez », sans prendre en compte les conséquences que cela a sur ma vie quotidienne, sur mes choix professionnels, et sur mes capacités à répondre aux attentes des autres. Ce jugement extérieur ajoute une pression supplémentaire, une culpabilité que je n’ai pas demandée, alors même que je suis déjà en train de lutter contre mon propre corps.
La réalité, c’est que ma vie professionnelle est en constante adaptation, et ce n’est pas toujours visible pour ceux qui ne la vivent pas de l’intérieur. Mais ce n’est pas pour autant que je baisse les bras ou que je me laisse envahir par l’injustice. C’est juste une partie de mon parcours, une réalité que je dois gérer, à la fois avec courage et avec une dose d’humour parfois, parce qu'il le faut bien.
Pourquoi ne pas arrêter, alors ?
Parce que malgré tout ça, dessiner, c’est ma bouée de sauvetage. Quand je crée, je redeviens un peu celle que j’étais avant. Et puis, entre nous, j’adore ça. Rien ne remplace la joie de voir un enfant sourire devant une de mes illustrations ou un parent me dire : « Votre travail est inspirant. » Ces moments-là me rappellent pourquoi je continue. Parce qu'au fond, créer, c'est aussi mon moyen à moi de me connecter avec le monde, de redonner du sens à mes journées.
Et mes valeurs, aussi. L’inclusion, la diversité, le respect… Ces principes me poussent à avancer, à ne jamais lâcher, à transformer mes défis en force. Chaque dessin que je réalise devient une petite victoire, non seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui sont invisibilisés, pour ceux dont les voix ne sont pas entendues. C’est ce qui me motive à chaque crayonné, à chaque projet, à chaque histoire que je partage. Ces valeurs guident chaque trait, chaque nuance, chaque projet, afin que mes histoires ne soient pas simplement des récits « ordinaires », mais des témoignages d’un monde plus vaste, plus riche, et plus humain.
Parce que pour moi, il ne s'agit pas de raconter des histoires classiques ou lisses, mais des histoires non-ordinaires. Celles qui mettent en lumière des vies, des trajectoires souvent mises de côté. Des histoires de personnes non-ordinaires, qui, au-delà des défis du quotidien, doivent lutter pour exister, se faire entendre, et trouver leur place dans un monde qui n'est pas toujours prêt à les accepter. Ces personnes, qui luttent pour se sentir légitimes, pour nourrir leur estime de soi, pour vivre pleinement avec leurs différences sans avoir à se cacher, méritent que leurs expériences soient racontées, célébrées, et respectées.
À travers mes illustrations, je cherche à rendre hommage à cette diversité de parcours et de personnalités. Chacune de mes créations devient une invitation à donner une place à ceux qui ne l'ont pas toujours, à célébrer les différences, à rendre visible ce qui est trop souvent mis de côté. Mon objectif est de raconter des histoires qui résonnent profondément avec ceux qui vivent en dehors des normes, de briser les tabous, de démystifier ce qui est mal compris, et de nourrir un imaginaire plus inclusif, plus sensible, plus humain.
Alors oui, c’est dur. Oui, c’est parfois rageant. Mais à chaque envoi de commande, à chaque message d’encouragement, je me rappelle pourquoi je continue : pour offrir une voix à ceux qu’on oublie, pour représenter un monde riche et divers, et pour respecter chaque parcours, aussi fragile soit-il. Parce que chaque histoire mérite d’être entendue, chaque voix mérite d’être écoutée, et chaque individu mérite de se sentir légitime dans sa différence.
Et puis, si tout ça échoue, je pourrais toujours écrire un livre : "Comment survivre dans un monde pas adapté : guide illustré pour créatif.ve en détresse". Avec un peu de chance, il deviendra un bestseller. Et promis, je le dédicacerai assise. 😉
Soutenez la créativité et la diversité
Mon parcours n'a pas été facile, et chaque jour présente son lot de défis, mais c’est aussi ce qui rend mon travail d’autant plus précieux. Chaque illustration que je crée, chaque histoire que je partage, a pour but de célébrer l’inclusion et la diversité. Et bien que les difficultés physiques rendent certains aspects de mon métier plus complexes, elles ne m’empêchent pas de continuer à avancer.
Si mon univers résonne avec vous, que vous soyez particulier ou professionnel, j’aimerais que vous pensiez à mon travail pour vos projets créatifs, qu'il s'agisse de commandes personnalisées ou de produits uniques. Toutes mes créations sont à retrouver sur mon site boutique www.mokalacreations.com. En passant commande ou en partageant mes créations autour de vous, vous ne faites pas que m'aider à vivre de mon art. Vous soutenez aussi un message essentiel : celui de la diversité, de l’inclusion et du respect.
Votre engagement, même sous forme de simple partage, est une bouffée d’air. Cela permet de faire connaître un univers qui met en lumière des histoires souvent invisibilisées et d'offrir des opportunités à une créatrice indépendante, engagée dans des projets qui comptent vraiment.
Merci pour votre soutien, pour votre écoute et pour avoir pris le temps de découvrir mon travail. Ensemble, nous pouvons créer un monde plus inclusif et respectueux, un projet à la fois.